mercredi 24 octobre 2018

Le regard accroché

Mon regard s'est accroché. L'autre jour, sans raison, il s'est accroché sur le visage d'une personne que je ne connaissais pas. Impossible de le décrocher. 

C'était dans une cafétéria. Mon regard était braqué sur le visage d'une dame mastiquant des brocolis. J'ai tenté de le détourner, avant qu'elle ne décroche le sien. Sans succès. Je sentais qu'il ne passerait pas inaperçu. Il n'était pourtant pas insistant. Il était simplement curieux, posé calmement sur cette dame. Il s'attardait sur elle. 

Elle lança soudain le sien - interrogateur - en direction du mien. Sourire poli. Sourcils levés.
- Bonjour ?" s'enquit la dévisagée, tentant d'obtenir des indices concernant mon regard insistant.
Agacée par mon regard qui ne se détournait pas, je restais muette.

- Bonjour, est-ce qu'on se connaît ?" insista l'observée. 
- Navrée, mon regard semble avoir envie de vous dévisager." répondis-je en allant m'asseoir précipitamment à une table, loin de tout regard. 

C'était sans compter la perspicacité du mien qui restait accroché. Chef d'orchestre de mes gestes, il devenait fuyant. Je désespérais de le concentrer sur ce qui préoccupait mon estomac. Il fallait qu'il suive mes mouvements.

Soudain, il rencontra plusieurs de ses semblables. Perdu, interrogateur, puis coupable, mon regard se baissa lentement. Il vit alors les morceaux de nourriture qui avaient quitté mon assiette pour venir s'échouer à mes pieds.

mardi 2 janvier 2018

L'esquive

Londres. Un quartier populaire. Un soir. Tard. Devant un pub. Au milieu des buveurs et fumeurs nocturnes, une fille s'arrête approximativement à côté d'un lampadaire et s'y agrippe pour réajuster une chaussure au talon récalcitrant. Son compagnon - visiblement - tente à son tour d'immobiliser son corps, après avoir constaté que son contrepoids avait quitté son bras.

Hilares, tous deux se retrouvent au milieu de leurs gestes désarticulés pour tituber jusqu'à la porte d'entrée du pub. Valse anarchique jusqu'au bar. La fille chuchote quelques syllabes à pleins poumons à l'oreille de son compagnon au sourire éméché, avant d'entamer courageusement l'ascension d'un escalier menant à l'étage.

Resté seul au bar, l'apprenti picoleur commande de quoi faire tanguer encore plus ses pieds et ceux de sa complice. Il se dandine, tourne plusieurs fois sur lui-même, pianote sur le bar en scrutant l'escalier et toutes les personnes en descendant. Un groupe de filles lui offre une distraction bienvenue. L'importun tente de s'immiscer dans leur conversation. Sans succès.

Ne voyant pas sa partenaire revenir de son ascension, l'embrumé se décide à partir à sa recherche et monte d'un pas hésitant les marches. A l'étage, les toilettes. Il se poste devant la porte des dames et attend impatiemment qu'une candidate - la sienne ? - en sorte. Une jeune fille surgit du petit espace, surprise de croiser un regard rempli d'autant d'incompréhension, et descend par un autre escalier, menant à l'autre bout du bar.