mardi 31 mai 2011

Echanges et châtiments

Soirée "networking" : signe d'une époque où les gens ne se saluent plus dans la rue mais préfèrent le faire en un lieu déterminé, le tout chapeauté par une thématique ronflante et accompagné de petits fours. Venus "réseauter" à tout va, les yeux se croisent, s'entre-croisent, les corps malhabiles balancent leurs pieds cardinalement (gauche, droite, devant, derrière), espérant sûrement en croiser d'autres, tout aussi maladroits. 

Les globes oculaires ouverts au maximum, le menton fier relevé, un drôle d'oiseau s'approche de mon sourire figé. D'un mouvement évident, il abaisse son nez jusqu'au badge mentionnant mon nom et celui de l'entreprise responsable de ma présence au milieu de cette foule d'inconnus. Toutes plumes gonflées, l'homme lâche une rafale de points d'interrogations sur ma personne. N'ayant d'autre choix que de riposter par une série de réponses, agrémentées de quelques questions en bonus, je lui retourne ses politesses. Au bout d'un temps, le bougre comprend que je ne lui serai d'aucune utilité côté affaires et décide d'aller chasser un autre gibier côté table des boissons. 

J'observe pendant un moment la valse attendrissante des cartes de visites. Tels des enfants dans une cour d'école s'échangeant leurs précieuses billes, tailleurs et costumes deux pièces distribuent leur petit bout de carton, choisissant précautionneusement les heureux élus. Le sourire fier et les mains pleines de cartes, chacun repart à l'affût de nouvelles cartes, plus belles, plus rares. 

Au détour d'une table, un honorable monsieur croise le regard d'une tartelette aux framboises mise à l'écart des autres. Il réajuste sa cravate d'un geste rapide, puis engloutit sa victime avant de se retourner vers un groupe d'autres costumes deux pièces riant aux éclats. Personne ne pleurera la malheureuse ce soir, sauf peut-être son compagnon de plateau, un éclair au chocolat miniature. Ma sensibilité me pousse alors à le sacrifier, avant de m'enfuir loin de la scène de crime.

lundi 23 mai 2011

Une soirée au théâtre

Approchez, approchez, ne craignez pas d'être plongés momentanément au cœur d'un show de Broadway. Les spectacles c'est magique : les acteurs, les décors, les chorégraphies, les musiques, les fous rires inopinés, les costumes, bref tout ce qui se passe sur scène. Mais le show ne se fait pas uniquement sur les planches ; il se fait aussi dans la salle, sous le regard attentif des vieux théâtres aux sièges en velours. 

L'illogisme pointe son nez dès l'entrée. Pour cette comédie musicale new-yorkaise, tous les quidams qui battent le pavé serrent dans leurs doigts leur billet d'entrée. Les portes sont encore fermées et les places numérotées, malgré tout, une tension règne au-dessus de cette masse entassée devant les portes closes. "Vais-je trouver le siège 16B avant le début du spectacle ?" "Et si quelqu'un avait le même siège ? L'angoisse. Il faut que j'arrive en premier !" Doivent-ils probablement cogiter.

Telles des fourmis venant adorer une sainte miette, les gens se bousculent, ("excusez-moi", "pardon", "excusez-moi") pour parvenir au siège tant convoité. Soupir de soulagement. Jet de veste nonchalant pour marquer son territoire. Rapide fouille du regard à 360°. Toilettes : ok. Bar : ok. Scène : ok. Voisins qui risquent de faire du bruit : ok. Cinq rangs devant, une jeune fille fixe intensément un siège, avant de regarder encore plus intensément son billet. Un pas à gauche, un pas à droite. Elle lève des yeux hésitants avant de prendre la décision de sa vie et d'envahir le pauvre fauteuil avec son postérieur. Dix minutes avant le début du spectacle. Les placeurs tentent vainement de raisonner les plus rebelles arrivant au pas de charge, convaincus qu'ils trouveront leur siège sans aide extérieure.

Les chants, les sourires figés et la bonne humeur feinte inondent le théâtre soudainement. Masse mouvante à mille têtes, le public sourit, puis rit, conquis. Applaudissements. Un rire isolé s'élève au rang de derrière. Désynchronisé. Strident. Il se meurt au bout d'un "ah, celle-là elle était bonne !" dépourvu d'enthousiasme. Une femme tente de convaincre l'homme à sa gauche qu'elle s'amuse. Constatant un désintérêt complet, elle se met en quête de quelque chose à faire. Un fond de teint sorti des tréfonds de son sac ira très bien. 

Les retardataires arrivent sur la pointe de leurs talons de plomb, accompagnés par un placeur exhibant fièrement sa lampe de poche. Si ce dernier a raté les auditions pour les Experts, il ne les a certainement pas raté pour le rôle absurde du mime bruyant. La masse du public rit. Il faut se lever pour laisser passer les retardataires. Faut-il rire avant de se lever ou bien attendre de s'être rassis, et donc avoir un temps de retard sur tout le monde ? Trop tard. Il faudra donc attendre le prochain flux d'hilarité générale. Une fois resynchronisé, le spectacle de la salle sera à nouveau oublié.

lundi 16 mai 2011

Une après-midi avec John McClane

Le rendez-vous est fixé. J'en ai des frissons dans le dos. Une après-midi complète avec John McClane. Les biscuits sont prêts, la bière est au frais, il reste du Coca et quelques pailles. Le ciel d'un gris triste crache des filets d'eau à intervalles régulières. Il est temps.

Il débarque telle une tornade. L’œil vif, le sourire moqueur et son air américain un tantinet arrogant. Il raconte ses quatre aventures les plus célèbres peuplées de méchants, de mitraillettes, de bombes et de policiers qui hurlent sans arrêt. Je me prends au jeu ; je m'imagine à la place du bon samaritain et tente de résoudre les enquêtes avant que des innocents soient tués. Les balles pleuvent. Les méchants rigolent à gorge déployée. Mon paquet de biscuits est vide. 

Rien ne va plus. John s'emballe et rigole comme un fou alors qu'il se remémore des blessures de bataille. Je lui donne une bière mais il refuse de la boire. Sans doute souhaite-il éviter d'aller aux toilettes. Après tout, il n'a pas vraiment le temps de se reposer. Fumer une cigarette, oui, mais vite. Serait-il paranoïaque ? Il parle d'Allemands, de terroristes, de soldats corrompus, d'attaques informatiques... Et ces policiers qui ne cessent de hurler des idioties. 

La nuit tombe, qu'importe ! Je commande une pizza pour me venger des miettes de biscuit qui me narguent depuis plus d'une heure. Mais pourquoi les supérieurs de John ne l'écoutent pas ? Il va finir en thérapie ce pauvre garçon. Je tente de le rassurer, mais il s'entête et se remet à courir. Mais remets-donc tes chaussures, malheureux ! Et rhabille-toi un peu. Prends exemple sur ta fille que diable ! 

Le Coca n'est plus qu'un vague souvenir, au même titre que les biscuits. Le pauvre reste de pizza gît lamentablement sur une tache de gras. John a tué tous les méchants et fini de radoter ses phrases à répétition. Il est temps que je le raccompagne et qu'il regagne sa place aux côtés de Riggs et Murtaugh.