mardi 24 novembre 2015

En cavale

Elle devait se rendre à l'évidence : elle avait raté son vol. Le regard faussement désolé de l'hôtesse à la porte d'embarquement fit monter en elle une colère désespérée. Toute sa concentration fut mise à contribution pour retenir larmes et cris de rage qui auraient l'audace d'apparaître publiquement. Cette jeune dame n'aura rien à raconter à ses amis virtuels, se dit-elle.

Et maintenant ? Prendre un autre vol ? Avertir qu'elle n'arrivera pas le jour et l'heure prévue ? Qui avertir au juste ? Rien ne lui venait à l'esprit. Une lassitude soudaine fondit sur elle, l'enveloppant d'un voile paralysant. La jeune hôtesse l'observait toujours, attendant probablement une quelconque réaction démesurée de sa part. Il n'en sera rien, se dit-elle, ravalant son désespoir.

Elle ne pouvait pas rentrer au foyer. A l'évidence, sa fugue était ratée, mais il lui était impossible de revenir en arrière. A l'heure qu'il était, le personnel soignant devait être à sa recherche. Cette pensée la fit jubiler. Ah, ils allaient bien voir qu'elle avait encore toute sa tête et qu'elle n'avait pas besoin de rester dans cet établissement rempli de vieilles croûtes séniles et baveuses. 

Voilà bien longtemps qu'elle n'avait pas fugué ; de nombreuses décennies, se dit-elle, refusant de compter trop précisément les années. Cette sortie improvisée la galvanisait ; elle se sentait capable de tout.

Elle fut tirée de ses pensées par l'hôtesse qui la hélait, une oreille couverte par un téléphone et le regard traduisant une supériorité écœurante face à une proie en difficulté. Elle savait qu'elle était en cavale. Broadway allait devoir attendre, mais ce n'était que partie remise.

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