jeudi 28 avril 2011

Tentative d'évasion

J'ouvre les yeux et je me retrouve soudainement devant un homme en complet veste, cravate, chaussures noires cirées, sourire arrogant en coin (probablement inclu dans l'ensemble). Il me fixe. Ah oui, il m'a posé une question et attend vraisemblablement une réponse. Mon cerveau se met lentement en route et passe en revue toutes les réponses que j'ai déjà prêtes en stock. Après une courte analyse, je choisis celle qui me semble le plus proche de la question posée. Quelques gribouillis de sa part, un hochement de tête. Bon, c'était apparemment pas ça. Tant pis.
Ma montre brûle mon poignet et semble hurler à mes yeux de se baisser. Juste une fraction de seconde semblent-ils dire. Il ne verra rien. Vas-y ! Maintenant ! Regarde l'heure ! Il est en train de gribouiller ! Trop tard. Ce sera pour la prochaine ouverture. Il faut que je planifie patiemment mon évasion. Je compte le nombre de va-et-vient entre moi, sa feuille, moi, sa feuille, moi, sa feuille… Pour le tatouage sur le dos, c'est cuit, je n'ai pas suffisamment observé les locaux en arrivant. Nous sommes au troisième étage. Trop haut.
Je remarque soudainement que l'homme a cessé de parler. Un silence s'ensuit. Je tente un sourire. Tout en innocence me dis-je, ça passera tout seul. Maudit soit mon esprit vagabond ! Sa bouche sérieuse forme une ligne pincée. J'ouvre la mienne et tente d'y pousser un son au bord du gouffre pour combler ce silence s'alourdissant de seconde en seconde. L'homme le regarde s'écraser misérablement au sol. Serait-ce le signal pour mon évasion ? Je tente une percée et me lève, tout sourire. Le regard interloqué de mon interlocuteur m'indique que c'est une tentative ratée.
Il se remet à parler. Mon esprit repart en vadrouille. Les yeux bloqués sur les siens, mon esprit m'ordonne d'écouter les sons de l'étranger. Oui, mais une fois l'ordre donné, les sons cessent abruptement. A nouveau. J'enrage. L'homme se lève. Je souffle silencieusement et me lève à mon tour. L'entretien est terminé ; c'est sûr, je n'aurai certainement pas le poste. Qu'importe, l'évasion était trop ardue.

mardi 19 avril 2011

La philosophie des chaussettes trouées

Il est un mouvement social obscur qui tapisse subliminalement ce blog depuis ses débuts et une explication serait de mise avant d'aller plus loin. Je veux parler des chaussettes trouées. Originaire d'une provenance inconnue, cette philosophie quotidienne touche tous les niveaux sociaux, mais plus particulièrement les rêveurs, parfois appelés tête en l'airistes.

Les chaussettes trouées définissent par elles-mêmes l'envie et la volonté de laisser non seulement ses orteils respirer, mais aussi les idées circuler librement. Cette double fonctionnalité dénote une ouverture d'esprit certaine et un insouciance accessible à tous, du moment que l'on se refuse à repriser ses chaussettes usagées.

Nombreuses sont les personnes adeptes de ce mouvement podologique, mais peu osent dévoiler ce penchant exquis. Les chaussettes trouées sont en effet devenues un des tabous majeurs de la société occidentale du XXIe siècle. Tant qu'elles sont contenues dans des chaussures, elles peuvent jouer de leur influence en toute sérénité et en toute discrétion, à l'abris des regards ridiculement inquisiteurs.

C'est à l'air vagabond et rêveur d'une personne que l'on peut deviner - mais sans grande certitude - le nombre de trous qu'abrite l'intérieur de ses souliers. Les propos prosaïques et les constatations banales voient immanquablement s'enfuir les orteils libérés. De même pour les rêves brimés oralement ou encore les désirs chahutés violemment.

Ainsi, naturellement trouées, les chaussettes aident non seulement à faire circuler les idées, mais aussi à les développer. D'où l'importance d'avoir les pieds aérés.

lundi 4 avril 2011

Au son d'un jukebox anarchique inutile

Chaussettes trouées encastrées dans des chaussures fermées, me voilà parée pour une soirée d'anniversaire classique. Des convives, des rires gras, des sourires figés, et de l'alcool pour détendre un peu le tout. Maladroite dans des habits sentant le savon et le déodorant, les dents apparaissant subtilement derrière un petit sourire avenant, je me faufile entre les invités pour trouver des têtes familières et quelques gouttes de bière. Discussions sans fond avec un peu d'aplomb, ping-pong de questions pour combler des lacunes dans les fiches identitaires des connaissances, qui passeront sans doute un jour au statut de potes, puis - s'ils ont passé les étapes qualificatives de la sociabilité - d'amis. 

Vient le moment de s'asseoir à table. L'angoisse. A côté de qui se placer ? Les gens se précipitent et réservent des chaises pour empêcher ceux qu'ils ne connaissent pas de se placer dans leur espace de discussion. Je pose mes fesses dans une zone inconnue, vierge de toute conversation animée. Le couple en face de moi ose un duo de sourires gênés avant d'ausculter à nouveau leurs verres désespérément vides. 

Un éclat de voix ridicule sur ma gauche m'informe que le joyeux luron de la soirée se situe à côté de moi. Celui qui se croit non seulement drôle, mais aussi irrésistible. Tel un bouton de radio dont le volume sonore est bloqué au maximum, le jeune homme fait partie d'une espèce qui apparaît régulièrement lors d'événements sociaux traditionnels - mariages, baptêmes, réunions de famille, etc. - et dont la mission consiste à débiter le plus de clichés inhérents à ces situations.

Aventurière, j'embraye sur des banalités pour assouplir les rides faciales de mes voisins d'en face. La mayonnaise prend gentiment, entrecoupée par moment par des éclats inutiles du jukebox anarchique d'à côté. Les organisateurs papillonnent dans toute la salle. A peine le temps d'effleurer leur chaise de leur postérieur qu'il faut à nouveau déplier les genoux pour repartir à toutes enjambées, évitant les enfants voletant un peu partout.


Repas. Fromages. Gâteau. Discours. Cadeaux. Remerciements. Le signal des départs est donné de manière subliminal. Certains se lèvent, remercient et s'en vont. Les autres, détendus par l'alcool ingurgité, profitent de cet instant pour assouvir leurs frustrations de la soirée et aller lancer une nouvelle discussion auprès de personnes assises en dehors de leur espace de conversation précédent.

Je me lève, observe les civilités d'usage précédant tout départ, salue le couple d'en face sous les éclats de voix de stentor de l'inutile, et mène mes jambes engourdies un peu titubantes vers la sortie.