mardi 22 février 2011

Ca s'est passé près de chez vous

Ça s'est passé près de chez vous. Oui, juste au rond-point. Là, en bas de votre fenêtre. Vous n'aviez pas remarqué qu'elle était enceinte jusqu'aux cheveux. Moi non plus. Il faut dire que l'angle de vue peut tout changer. Vous vous êtes peut-être dits : "Tiens, encore une ado qui traîne en training rose avec son petit frère." Ou alors : "Woaw ! Quels sacrés beaux cheveux noirs !" Peut-être. 

Puis, l'angle de vue change et les détails envahissent le tableau comme des fourmis attirées soudainement par un reste de tartine à la confiture : sous sa doudoune noire, une bosse bien volumineuse pour un si petit corps. Ses traits, fatigués. Marchant patiemment à ses côtés, un petit bonhomme au regard sérieux. Autour d'eux : la route, un parking vide, personne. Devant eux : une station service. 

Le décor et les acteurs sont mal assortis. Du moins, c'est l'idée qui me vient à l'esprit soudainement, alors que la voiture dans laquelle je me trouve s'immobilise à une pompe à essence. "Sans doute que cette dame va rejoindre son mari à la station service." La voiture boit. La femme arrive d'un pas décidé, les yeux soulagés. Pas de mari. "Mon esprit se serait-il trompé ?" Me moquais-je de mes idées farfelues. 

Tout s'illumine lorsque la petite dame achète un bidon et le remplit d'essence. "Ah ! Vous n'aviez pas pensé à ça !" Marmonnais-je à mes idées en train de bouder. C'était donc une panne sèche. L'une de mes idées sorti de son mutisme pour me souffler : "Peut-être que sa voiture l'attend loin d'ici." Oui, peut-être. 

Oui, effectivement, la voiture attendait bel et bien sa propriétaire à quelques kilomètres de là. Au rond-point, juste au-dessous de votre fenêtre. Là, en bas de chez vous. Sa machine l'a abandonné soudainement sur la route pour refuser de rouler plus loin. Elle avait tenté de la pousser. Sans aide. Pendant trois heures. Sous les yeux de son brave petit bonhomme. J'étais presque attristée de ne pas être arrivée plus tôt dans les parages.

vendredi 11 février 2011

Europe de l'Est 1 - Asie 0

Quelques secondes avant que mes mains puissent pousser la porte de l'immeuble, une quidam typée asiatique m'accoste tout d'anglais vêtue. La situation et les mots pressés analysés, l'inconnue me demandait mon aide. Rien n'indiquait alors que la Suisse allait être l'arbitre d'un bras de fer opposant l'Asie à l'Europe de l'Est. 

Le ring : une petite boutique, vêtements cherchant désespérément une seconde - voire une troisième - vie, pendus à des cintres dodelinant. 
Présentation des équipes : à ma gauche, l'Asie, un cornet en plastique à la main, un manteau inutile acheté 5 heures auparavant à l'Europe de l'Est, des lunettes sérieuses et des paroles britanniques plaintives ; à ma droite, l'Europe de l'Est, les fesses campées sur une chaise rustique de sa petite boutique, les crocs prêts à sortir, les mains s'affairant à rapiécer un morceau de tissu. Au milieu, moi, la Suisse, traductrice improvisée, prise en étau entre une tempête slave et un tsunami nippon. 

Le match débute plaintivement par l'Asie qui souhaite retourner son bien acquis auprès de l'Europe de l'Est en début d'après-midi, et retrouver par la même occasion ses fonds mal investis. La réponse négative et sans appel de l'adversaire jaillit avant même d'avoir entendu la traduction francophone. Les mots pleuvent sur l'Asie qui reste stoïque et attend patiemment que les hallebardes se transforment en paroles compréhensibles. La situation n'est pas à son avantage. 


Changement de tactique, l'Asie tente de prendre à revers l'Europe de l'Est en lançant une proposition au-delà de la zone des 100 mètres : le manteau en retour, les fonds transformé en crédits pour des achats/rapiéçages futurs. Réception de l'Europe de l'Est et renvoi immédiat à l'expéditrice qui rate la réception. Les fesses solidement ancrées sur sa chaise, l'Europe de l'Est ne s'ébranle pas une seconde.

L'Asie trépigne. La Suisse s'impatiente. 
L'issue du match semble inévitable ; l'Asie est en mauvaise posture. L'Europe de l'Est a l'avantage. J'annonce que la fin approche et commence le décompte.

L'Asie tente une manoeuvre désespérée pour sauver son honneur : un panneau dans la boutique proclamant que les habits ne peuvent ni être retournés, ni être remboursés. L'Europe de l'Est assène le coup final en esquivant le coup et renvoyant un uppercut. L'Asie est sonnée. Je sonne la fin du match en sortant de la boutique. 


Score final : Europe de l'Est 1 - Asie 0.

jeudi 3 février 2011

Encore une qui n'avait pas ses chaussettes trouées

Certaines salles attireraient-elles les chouettes aux cris stridents ? Que faire lorsqu'on découvre un manque cruel de trous aux chaussettes de sa voisine de tablée ? 

C'était un jour. Les oreilles tendues, avides de capter les sons les plus infimes qu'un gai pinson poinçonnait dans les airs, le tout devant une multitude d'autres merles aux yeux ne demandant qu'à se remplir de paroles. Chaque syllabe était avalée goulûment, sans que personne ne prenne le temps des les mâcher soigneusement. Le savoir voletait dans la petite pièce, tandis que les rêves, eux, s'échappaient un à un par les vitres. 

Posture tendue, le chignon évasé, la bouche fendue d'une moue ridée, ma voisine bougonnait. Emprisonnée par ma timidité et mon incompréhension, je continuais à attraper chaque mot de l'orateur pour les fourrer au plus vite dans mon esprit. Un par un. 

Horrifiée, je constatais que ses grommellements devenaient sonores ; en levant la tête, on pouvait apercevoir les sons harmonieux se mélanger doucement aux grognements de la chouette. Encore une qui n'avait pas de trous à ses chaussettes ! Encore une qui ne permettait pas à ses idées de gambader joyeusement dans l'air ! Encore une qui avait bridé ses mots et ne leur accordait de liberté que sous certaines conditions !

Les chaussettes non trouées perdent vite patience, ai-je pu constater ce jour-là, car la chouette s'en alla sans se retourner sur ses grommellements qu'elle avait abandonné dans la pièce. Je mourais d'envie d'ouvrir une fenêtre pour les laisser s'échapper au loin, là où la chouette ne les rattraperait plus. Mais ils finirent par s'estomper, mêlés aux gazouillements érudits.