jeudi 28 juillet 2011

Entre deux gouttes

Quatrième jour consécutif de pluie, soupira-t-elle en sortant de chez elle. Si ça continue, elle allait devoir s'acheter un de ces masques de plongée que le supermarché du coin avait en action ce mois-ci. C'était le seul signe qu'on était bel et bien en été. Le paysage gris béton, de même que la mine triste des gens traînant les pieds en allant travailler le matin avaient plutôt tendance à pointer vers la fin de l'automne. Elle rit en s'imaginant marcher avec une telle fantaisie sur les yeux ; peut-être que le monde aurait l'air différent, plus souriant, plus coloré ?

En arrivant au restaurant, elle commença ce qu'elle appelait "son rituel boulot yo-yo" en espérant que ce midi il y aurait d'autres clients que le comité de l'association de soutien pour le parti travailliste (trophée en platine des noms d'associations à mourir d'ennui). Même si les journées estivales au travail ressemblaient à un chewing-gum fondu au soleil - longues, molles, incolores - elle se sentait à l'aise dans ce petit bâtiment étrangement planté au milieu d'un parking. Quoi qu'il en soit, son esprit était ailleurs, loin, dans les vieux bâtiments plein de sagesse de l'université où elle irait bientôt étudier.

Alors que le service venait de commencer, trois hommes à moto s'arrêtèrent devant le restaurant. Elle ne reconnaissait pas les plaques. Des étrangers ici ? Comment serait-ce possible ? Il n'y a rien à voir, rien à faire, rien tout simplement. Autant de questions qui menaçaient de faire imploser son esprit, surtout lorsqu'elle constata que les motards entrèrent dans le restaurant et que l'un d'eux était en réalité une jeune femme de son âge. D'où venaient-ils ? Et s'ils ne parlaient pas sa langue ? Pire, et s'ils ne comprenaient pas le menu ?

La tempête de questions s'interrompit brusquement lorsqu'elle s'aperçut que les trois étrangers s'étaient installés non loin du club des barbus barbants et qu'ils la fixaient maintenant avec des sourires affamés. Elle se ressaisit et leur apporta le menu, tout en leur demandant s'ils désiraient boire quelque chose. Elle eut pour toute réponse des rires gênés et une sorte de bafouillage duquel elle réussit à extraire le mot "english". A regret, elle fit signe qu'elle ne comprenait pas.

Au bout d'un moment, à force de gestes, de pointages du doigt, de sons en tout genre et de nombreux sourires, les commandes furent passées et les estomacs rassasiés. Elle était déçue que le chef n'avait plus de quoi faire l'une des spécialités présentes sur la carte. Ils auraient sûrement aimé la goûter. Au moment de partir, elle remercia les étrangers et leur confia joyeusement qu'elle pourrait bientôt discuter avec eux, s'ils étaient amenés à se revoir, car elle prévoyait d'apprendre l'anglais et même l'allemand à l'université. Six billes stupéfaites la fixèrent. Après un court silence confus, les trois voyageurs fouillèrent à nouveau dans leur porte-monnaie pour en extraire un second pourboire qu'ils déposèrent sur la table avant de s'en aller.

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